Article rédigé pour un dossier spécial automobile, publié courant 2014 dans différentes revues des écoles Centrale.
Entre 2008 et 2014, l’Alliance Renault-Nissan a investi 4 milliards d’Euros pour développer sa technologie “zéro émission” et a commercialisé 6 modèles (Leaf, Kangoo, Fluence, Twizy, Zoé, e-NV200). De l’autre côté de l’At-lantique, Tesla fabrique le model S après le succès de son Roadster et prépare déjà le model X. De nombreux constructeurs rejoignent le mouvement, notamment BMW, VW, Hyundai… Pourquoi ?
Au tout début de l’automobile, c’est une voiture électrique, la “jamais contente”, qui la première a dépassé le 100 km/h, mais ces véhicules restèrent cantonnés aux véhicules niches au profit des véhicules à moteur à combustion interne – les voitures à pétrole – apportant une meilleur autonomie, une plus faible masse, un coût réduit. Ce n’est qu’à la fin du vingtième siècle, à la suite du Protocole de Kyoto, que Toyota propose avec sa Prius une motorisation hybride thermique électrique.
L’objectif premier de l’hybridation est de maximiser le rendement énergétique du moteur à explosion en le faisant fonctionner à son optimum, stockant le surplus d’énergie obtenu en dehors des phases d’accélération et le libérant à la demande du conducteur. Ces véhicules ne sont pas zéro émission mais permettent de réduire ponctuellement les émissions. Sur ces véhicules, les batteries sont dix à vingt fois plus petites que sur un véhicule tout électrique, mais contribuent, avec la présence de deux groupes motopropulseurs, à alourdir le véhicule et à renchérir son coût.
Depuis, les travaux sur les batteries ont permis d’envisager la commercialisation de véhicules hybrides plug-in – permettant d’assurer une autonomie électrique de plus de 25km – et surtout des véhicules 100 % électriques. Ces derniers emportant plusieurs kilowattheures de batteries franchissent la barre des 200 km d’autonomie zéro émission. Malgré ces progrès, l’appréhension des clients sur cette faible autonomie – la “range anxiety” – constitue le principal frein à l’adoption de l’électromobilité même si l’expérience montre que dans la pratique, les clients du véhicule électrique s’accommodent très bien de cette autonomie réduite.
Néanmoins, certains véhicules sont équipés d’un “range extender”, groupe électrogène embarqué permettant d’étendre l’autonomie en générant de l’électricité à partir de carburant, ce qui place ces véhicules dans la catégorie des véhicules hybrides série. Une start-up Française, EP Tender, étudie la possibilité de loger ce range extender dans une remorque en location que le véhicule électrique tracterait en cas de trajet exceptionnellement long, évitant de transporter cette masse inutile lors des trajets quotidiens.
Cette autonomie limitée crée une attente forte sur les solutions de recharge publiques et privées qui constituent une partie importante de l’écosystème du véhicule électrique, par analogie avec les stations-service pour les véhicules thermiques.
Le véhicule électrique devient le premier objet nomade avec une puissance de charge élevée, connectable en tout lieu avec des exigences de sécurité sans commune mesure avec celles que nous connaissons par exemple avec les smartphones. Cette distribution possible au domicile, sur la voie publique, dans des centres commerciaux, au bureau… introduit une nouvelle donne à coupler avec une production d’électricité non carbonée : hydroélectrique, nucléaire, renouvelable.
La batterie et le groupe moto-propulseur de ZOE (Renault 2013)
La puissance disponible dépend du type de point de charge, une faible puissance pour une charge lente, au domicile, au bureau ou offerte dans le cas de centre commerciaux ou de restaurants qui veulent attirer les clients chez eux, et une forte puissance pour une charge rapide payante dans le cas d’une recharge nécessaire au cours d’un trajet. Les pouvoirs publiques ont un rôle majeur dans le déploiement de cette infrastructure publique visible pour rassurer les clients et favoriser le marché du VE.
Tesla inclut dans son offre l’accès gratuit et illimité à son réseau de super chargeurs qui, associé au sur dimensionnement de la capacité des batteries, permet de relier les grandes villes des Etats Unis au moyen d’arrêts d’une heure tous les 250km, ce qui suppose la disponibilité immédiate d’une borne de recharge au moment où se présente le véhicule ou, mieux, la capacité à réserver cette borne à distance. En Europe, des corridors équipés de stations de charge rapide tous les 50km sont installés, la principale question restant celle de l’exploitation et de la rentabilité de ces infrastructures.
Un concept particulier d’infrastructure a été mis en place par la société Better Place, celui du “Quickdrop” ou “Battery swap”, qui consiste à échanger en quelques minutes sa batterie vide par une batterie pleine, rechargée en temps masqué dans des stations automatiques. Il a été testé en Israël et au Danemark, avec succès, recueillant un fort niveau de satisfaction de la part des clients qui pouvaient traverser le pays sans arrêt prolongé. Le concept a été repris par Tesla, et se développe également en Chine, notamment sur des autobus. En 2013, l’échec financier de Better Place a mis un terme à leur application, gourmande en investissements, et il sera intéressant de vérifier si cette technologie sera maintenue dans d’autres projets futurs.
Le véhicule électrique est également connecté afin d’aider le conducteur à gérer son parcours en liaison avec son autonomie résiduelle, à trouver et réserver une borne de recharge, à suivre sa charge à distance, à commander le pré-chauffage de son véhicule, à suivre ses résultats en éco-conduite… La connectivité du véhicule électrique favorise aussi le développement de nouveaux services, en l’intégrant
naturellement aux services de mobilité en location courte durée ou en auto-partage, mais aussi aux prestations énergétiques dont nous reparlerons plus loin.
La télématique permet aussi de suivre l’état de santé de la batterie de traction que plusieurs constructeurs proposent à la location. Si cette idée de location est surprenante au premier abord pour un client attaché à la propriété de son automobile, elle permet de mutualiser le risque technique et de rassurer l’acheteur du véhicule d’occasion sur ce risque technique, contribuant ainsi à soutenir la valeur du véhicule. Sur le plan du discours commercial, ce système permet de comparer plus facilement le coût d’usage du véhicule électrique à celui du véhicule thermique, en rapportant le montant du loyer batterie et de l’électricité consommée au coût mensuel du carburant pour des prestations équivalentes.
Pour réduire encore le coût des batteries sur toute leur durée de vie, les constructeurs travaillent également à les valoriser au-delà de leur «vie automobile», où leur performance dégradée répond encore à un besoin dans des applications moins exigeantes, telles que le stockage distribué, qui consiste à stocker l’énergie pour lisser les pics de puissance. On parle alors de “seconde vie” des batteries.
Le véhicule électrique a également un impact sur le réseau électrique. Le premier challenge est de faire en sorte qu’il n’aggrave pas les pics de consommation, généralement très carbonés, en provenance des centrales électriques à fioul, gaz, à charbon, ce qui obligerait les énergéticiens à investir dans de nouvelles installations pour répondre à la demande. Pour cela, le véhicule électrique devient un acteur à part entière de la gestion intelligente de l’énergie. La première étape consiste à gérer efficacement le besoin de mobilité du client et à y répondre tout en repoussant au maximum la charge dans les heures nocturnes où l’électricité est la plus abondante, la moins onéreuse et la moins carbonée. Dans un second temps, le stockage d’énergie dans le véhicule est mis à contribution pour gérer intelligemment l’intermittence des modes de production d’énergie renouvelable, à l’échelle de la maison (“vehicle-to-home”), de l’immeuble ou du quartier (“vehicle-to-grid”) et équilibrer au mieux l’offre et la demande d’énergie. Les difficultés sont bien sûr techniques, mais surtout économiques. Construire une chaîne de valeur qui permette le partage des économies du système, la rémunération de l’utilisation des différents composants entre les différents acteurs (énergéticiens, constructeurs automobiles, gestionnaires de parc immobilier et client final) fera l’objet de délicates négociations. Les systèmes d’information et la connectivité du véhicule sont des parties prenantes essentielles de ce nouveau système de gestion d’énergie électrique construit sur les smart-grids.
Il est difficile d’aborder l’électromobilité sans évoquer les piles à combustibles, où l’on remplace les lourdes batteries par un réservoir d’hydrogène et son générateur électrique, permettant à la fois d’augmenter l’autonomie et de réduire le temps de recharge en se rapprochant des performances des véhicules thermiques. Actuellement les bilans masse, volume et coûts restent défavorables. Pour en faire une alternative efficace et économique, les questions de la production et de la distribution de l’hydrogène, maîtrisant les émissions de gaz à effet de serre restent ouvertes. L’enjeu n’est pas de rivaliser avec les véhicules à batterie pour les petits trajets, mais d’apporter une solution décarbonée fiable, à impact environnemental réduit, sans contrainte forte pour le client, aux longs trajets.
Nous avons vu que le véhicule électrique apporte son lot d’innovation et modifie le paysage technique et les pratiques des clients, mais il apporte également un nouvelle donne parmi les constructeurs. Alors que la complexité technologique, en particulier sur les moteurs à explosion poussés au perpétuel raffinement par les réglementations anti-pollution, représente une barrière à l’entrée pour de nouveaux compétiteurs, la transition vers l’électromobilité voit l’apparition de nouveaux acteurs industriels comme Tesla, Fisker, Bolloré, Mia, Pariss…
Le véhicule électrique semble particulièrement adapté au système de véhicule autonome, avec ses nouveaux usages, ses nouveaux marchés et ses nouveaux protagonistes, tels Apple, Google… La compétition pour l’intégration des systèmes d’exploitation, de géo localisation et de navigation des véhicules, de facturation de l’énergie prépare une prochaine révolution des systèmes de transport, même s’il faudra encore du temps pour maîtriser les problèmes de sécurité, procéder aux ajustements réglementaires, adapter les comportements. Néanmoins le mode de propulsion électrique, respectueux de l’environnement local, et la connectivité en continuité avec la domotique et de nouvelles pratiques, prépare l’ouverture à de nouveaux usages.
Le véhicule électrique est un premier pas vers une automobile “servicielle”, partagée, sûre, moins coûteuse, moins consommatrice de l’espace public et plus respectueuse de l’environnement. Il devrait être un acteur incontournable des évolutions de nos sociétés.
FD
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Frédéric DELRIEU (ECLi 95)
RENAULT – Business Development des Véhicules Electriques
Il a commencé sa carrière à la Direction de la Recherche de Renault, auteur de plusieurs innovations dans le domaine du comportement routier et de la sécurité active; rejoint en 2000 la Direction de l’Ingénierie Véhicules chargé des développements et de l’industrialisation d’équipements et systèmes du châssis. Ensuite chef de projet châssis de la L38/SM3 en Corée du Sud chez Renault Samsung Motors, il rejoint en 2011 le Programme Véhicules Electriques et son équipe de Business Développement, en particulier sur les sujets de batteries de traction et d’infrastructure de charge.
http://www.linkedin.com/in/fredericdelrieu/